dimanche 3 juillet 2011

Ensorcellements en Transylvanie

Derniers jours du mois de juin à Cluj, les derniers jours d'Alice en Roumanie avant de repartir en Irlande : quelques jours de musique, de camping dans la campagne et de forêts hantées.

Quelques coups de pédales et nous voilà Alice, Marcel et moi dans la forêt de Făget, à quelques kilomètres de Cluj (photo : Alice)

Autour du feu. Alice (photo : Marcel)

(Photo : Marcel)

Marcel (photo : Alice)
Soirée de grillades d'aubergines et de toast sur le feu et de musique sous la presque pleine lune. 

Notre petite tente au milieu de la forêt.

Un air macédonien que nous aimons jouer : Makedonsko devoïtche. Une chanson irlandaise que m'a apprise Alice : The Butterfly.


Quelques jours plus tard a lieu une fête religio-païenne, la fête des Saintes Fées ou Sancta Diana / Sanziana. Le jour idéal pour passer une nuit dans la forêt hantée de Hoia Baciu (voir cette vidéo), où auraient lieu d'étranges phénomènes paranormaux et où des extraterrestres auraient été vus... Daniel, Diana, Tibi, Marcel, Alice et moi partons affronter les esprits de la forêt.

Daniel et moi (photo : Alice)

Marcel (photo : Alice)

Alice et Marcel m'assurent le lendemain matin que pendant un moment, j'ai été possédée par les fées, obsédée par le feu et ne voulant plus partir... :) Toujours est-il qu'on rentre bien vivants (même si un peu égratignés, couverts d'herbes et sentant le feu de bois) le lendemain à l'aube.

Puis vient la dernière soirée d'Alice à Cluj. Forcément, son séjour en Roumanie se termine en musique !  Session à Albinuta.

Andrea (photo : Alice)
Quelques chansons par Alice : Hurt, de Johnny Cash, et Come out you black and Tans, la chanson de l'IRA.

Alexei (photo : Alice)
Finalement, après être restés un jour de plus à Cluj (toujours aussi surprenante : un énorme concert gratuit avec les plus grands noms roumains et moldaves - dont Zdob și Zdub - a lieu sur la grande place, puis on chante et joue de la musique jusqu'au matin avec quelques amis), j'accompagne Alice, en route pour Bucarest, jusqu'à Alba Iulia... où l'on retrouve d'autres copains musiciens. Dans le train pour Bucarest, dernières chansons à la flûte et au violon (on répète les airs que Marcel de Beica nous a appris) avant que je descende à Brașov... Alice va nous manquer à Cluj.


Trois très belles journées à Brașov en compagnie de Moaca, que j'avais rencontré l'été dernier sur le bateau de Sfântu Gheorghe à Tulcea (auteur de ma dreadlock passagère).



Mais il faut bien reprendre la route : je suis à nouveau "pe drum", jusqu'à Sighișoara. 



Une poubelle colorée ? Imaginez-la en bleu-blanc-rouge... La même chose est arrivé à Cluj il y a quelques années : le maire d'alors (je ne connais pas son nom, Diana et Daniel l'appellent systématiquement "le maire fou") a décidé de peindre les bancs, les poubelles, les plaques d'égout, et tout ce qu'il y a de public aux couleurs de la Roumanie. Est-ce aussi à Sighișoara une manœuvre anti-Hongrois, malgré les inscriptions bilingues partout ?



Puis dernière vadrouille avant l'arrivée de Stéphane et Joanne demain et après-demain : un village près de Dej (au Nord de Cluj), où Cal nous a invité pour la soirée dans sa ferme. Ratatouille sur le feu de bois dans le jardin, țuica au miel (tous deux maison) et musique. Encore un endroit où il fait bon prendre le temps...

samedi 25 juin 2011

Chez Puio à Beica

Jean, un copain violoniste qu'Alice et moi avons rencontré pendant les "Zilele Clujului", nous avait parlé il y a quelques semaines d'un très bon musicien chez qui il allait régulièrement jouer et apprendre, Marcel. Il habite dans un village à côté de Reghin, Beica de Jos. Jean a quitté la Roumanie, mais Alice et moi partons quelques jours chez Marcel / "Puio" (prononcez [Pouyo]).


Arrivée à Reghin, LA ville du violon en Roumanie

Dans l'une des deux grandes fabriques de violons de Reghin

Arriver à Beica, à quelques kilomètres de Reghin, se révèle être plus difficile que faire la centaine de kilomètres de Cluj à Reghin. Mais on finit par être prises en stop par un des voisins de Marcel, qui nous arrête devant chez lui. Tout de suite, on est accueillies à bras ouvert. On pensait camper et repartir le lendemain, mais l'hospitalité de Marcel, de sa famille et du village est telle qu'on reste en fait trois jours à Beica (et encore, il faut s'arracher à cet endroit et à son charme, car on aurait bien pu rester quelques semaines)...

A Beica vivent en grande majorité des Roms, et quelques Roumains et Hongrois.

Une pièce où on a passé des heures ces quelques jours, entre les apprentissages de nouveaux airs avec Puio et les délicieux repas (les meilleurs que j'ai mangé en Roumanie) de sa femme. Voici quelques enregistrements (où j'accompagne les violonistes à la flûte) : Hopa, Făgăras, Țarine

Prises de force avant la chasse aux fraises sauvages (photo : Alice)


Promenade en caruța : malgré nos "hai Gusti hai !", Alice et moi n'avons aucun pouvoir sur le cheval...

Baignade dans un lac paradisiaque au milieu des champs

La division du travail : Sandel se dévoue pour tasser l'herbe dans la caruța.

Dans le bar du village, on rencontre Ramona et sa mère, Angela. On s'entend très bien et discute beaucoup. Elles acceptent toutes les deux que j'enregistre quelques chansons qu'elles nous chantent : O mie de araboaice, chanté par Ramona, et une doina (genre traditionnel roumain) par Angela.

Ramona et Alice

Angela nous invite chez elle, une petite maison décorée de tapis colorés, et chante.

Quelques jours "mishto" où nous avons été très "bahtalo"... Devlesa Beica !

IRAF - International Romani Art Festival

L'année dernière, en voyage en Roumanie avant de partir pour la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, le Monténégro et la Serbie, la dernière étape du parcours m'a conduite à Timișoara, où par hasard se tenait en même temps le festival IRAF, International Romani Art Festival. Les Couchsurfeurs chez qui je restais, Victor et Andreea, m'avaient parlé d'un concert auquel ils voulaient qu'on aille. Mais en voyant l'affiche du festival, j'imaginais déjà ne pas les accompagner pour ne pas manquer ce festival... avant de comprendre qu'on parlait tous des mêmes concerts ! Balkan Beat Box, Dubioza Kolektiv, Mitsoura, Nadara Gypsy Band et beaucoup d'autres, des after-partys jusqu'au matin le long de la rivière, un public survolté (et surreprésenté en Bretons)...Ce festival est l'un des meilleurs auxquels j'ai été et je comptais vraiment y retourner cette année. J'ai d'ailleurs pris la photo du petit garçon sur le bandeau supérieur du blog pendant ce festival.

Et en fait, c'est le festival qui est venu de Timișoara à Cluj ! Un an plus tard, je suis de l'autre côté, celui des volontaires.

Volontaires au bureau d'Alternatives Européennes (nous sommes partenaires d'IRAF) quelques jours avant le début du festival

Emilia et Adi, les deux organisateurs du festival

Préparation artisanale de colle pour les affiches à partir d'eau et de farine
Comme on disait avec Alice, voici un nouveau chapitre : quatre jours intenses pendant lesquels tout gravite autour d'IRAF, beaucoup de rencontres, de musique, de danse, de jam sessions... J'ai eu beaucoup chance en tant que volontaire : mon rôle, "welcoming", consistait à aller chercher les artistes et invités à l'aéroport et à être leur premier contact. C'est plus un honneur qu'autre chose...

Cette année, les têtes d'affiches sont à nouveau Dubioza Kolektiv et Mitsoura (on ne s'en lasse pas), et les magnifiques Taraf de Haidouks, et d'autres groupes comme Nadara Gypsy Band, Chilli Family, Gypsy Hill, Danube's Banks, Rehab Nation, DJ No Sikiriki... Mais IRAF, c'est aussi un marché artisanal rom, un atelier de danse indienne, des projections de films, des activités pour les enfants, des spectacles de danse, du théâtre...

Au marché des artisans roms, un atelier de fabrication de bijoux

Scènes de théâtre basé sur des témoignages de Roms en prison

Concert de Dubioza Kolektiv

Gypsy Hill

Gypsy Hill

Taraf de Haidouks et la danseuse Atika Taoualit

Taraf de Haidouks

La rue Potaissa en extase

Les musicien du Taraf sont vraiment tous des personnages. Extrêmement connus non seulement en Roumanie mais dans le monde entier (ils ont joué dans Latcho Drom et comptent dans leurs fans notamment Johnny Depp), ils sont très simples et abordables.

A l'"Irish Pub", QG des after-partys, DJ No Sikiriki et Adi Voichitescu, aux couleurs du festival Balkan Trafik (Bruxelles, mi-avril)

Mitsoura (qui a aussi chanté dans un film de Tony Gatlif, Swing, à la fin de l'extrait, 7e minute) clôture le festival. Cette année encore, un grand moment de magie.


Et pour finir ce post qui est un peu vide sans son, voici quelques enregistrements pris pendant le festival : les Taraf de Haidouks, Ederlezi par Mitsoura, drum session et impros à l'Irish Pub...

Et voici la première vidéo de ce blog (merci à Alice) : une chanson traditionnelle roumaine, Canta cucu bata-l vina, par les volontaires d'IRAF à l'Irish pub.


Les Roms du Pata Rât

Les Roms sont entre 500 000 et 2,5 millions en Roumanie. C'est le pays d'Europe où ils sont le plus nombreux. Même s'ils sont représentés politiquement, notamment par le parti des Roms, ils vivent aux marges de la société, figurativement et littéralement. Cluj en est malheureusement l'exemple.


La plupart des Roms à Cluj vivent dans le quartier dit "Pata Rât" (2000 personnes), près de l'aéroport, à environ sept kilomètres de la ville. C'est là que les déchets de la ville sont stockés, dans des conditions ne répondant ni aux normes de sécurité, ni d'écologie. On peut dire qu'il y a trois groupes vivant à Pata Rât. Certains sont là depuis longtemps, survivant dans des conditions très difficiles ("vieux Pata Rât"). D'autres habitent rue Cantonului, où ils ont été expulsés au début des années 2000. Les derniers arrivants ont été expulsés de la rue Coastei dans le centre de Cluj et installés là en décembre 2010 ("nouveau Pata Rât").

"Vieux Pata Rât"

"Nouveau Pata Rât"

Rue Cantonului

Il y a environ dix ans, d'autres Roms ont été expulsés de Cluj et installés "temporairement" dans des baraquements près de la voie ferrée, rue Cantonului. Ils y sont toujours (environ 400 personnes). Les préfabriqués (construits par des organisations caritatives en accord avec la mairie) étant trop petits, d'autres maisons ont été construites, rendant l'ensemble des habitations semi-légales. Le 31 mai, les habitants de Cantonului ont reçu une notification de poursuites judiciaires de la compagnie de chemin de fer, CFR, propriétaire du terrain, pour cause d'"occupation abusive du territoire", demandant l'expulsion des habitants et la destruction des habitations. Le procès a été repoussé au 1e juillet, grâce à gLOC, groupement d'organisations de Cluj se battant pour la résolution à court, moyen et long terme du problème des conditions précaires et ségréguées de logement des familles Roms expulsés en décembre 2010 à Pata Rât (voir plus bas), dont Alternatives Européennes fait partie, par l'intermédiaire de Daniel, Diana et moi. Concernant la rue Cantonului, le problème est que beaucoup de familles vivent dans des conditions économiques très précaires, certains sont très malades ou ont des enfants en bas âge, et personne ne sait où ils seront expulsés, car il ne semble pas que des logements sociaux aient été construits. Je vous invite à signer la pétition de gLOC, pour "empêcher les expulsions forcées [théoriquement interdites par le droit international] et trouver des solutions immédiates aux conditions de logement des résidents de la rue Cantonului et favoriser leur inclusion sociale". Pour signer la pétition, cliquer sur Semneaza petitia!.  

Rue Cantonului. Une femme nous montre le contrat de son logement.
La situation du "nouveau Pata Rât" est un peu différente. Là, les expulsions ont déjà eu lieu vers Pata Rât, en décembre dernier. Les familles vivaient dans le centre de Cluj, rue Coastei, travaillaient ou allaient à l'école en ville. Le 16 décembre (-7 degrés Celsius à Cluj), les autorités locales ont ordonné leur expulsions le lendemain, bien que ces personnes aient eu des contrats et habitent légalement leurs maisons. 250 personnes ont été relogées dans des "logements sociaux" construits par la municipalité de Cluj près de la décharge et du dépôt de déchets chimiques (produits pharmaceutiques), de l'autre côté d'une ligne de chemin de fer qu'il faut traverser pour rejoindre l'arrêt de bus. Toutes les familles n'ont pas été relogées. Quant à celles qui ont pu avoir un toit,(dix maisons modulables ont été construites), le logement ne correspondait pas à ce qui leur avait été annoncé. Chaque "maison" est constitué de quatre chambre de 18 m2, d'une entrée et d'une salle de bain commune de 6 m2, ce qui revient pour le nombre d'habitants à 2,98 m2 de chambre et 0,24 m2 de salle de bain. Aucune intimité, la queue permanente pour se laver ou aller aux toilettes. L'isolation des murs et du plafond n'a pas fait long feu : l'eau et le froid s'infiltre facilement à l'intérieur. La majorité des enfants sont tombés malades.

Chaque famille vit dans une chambre de 18 m2.
La pluie s'infiltre dans la maison par le plafond.

Une salle de bain partagée par 40 personnes

Pourquoi les expulsions du 17 décembre ? Il semble que le terrain aurait été prévu pour la construction de bâtiments pour la firme Nokia. Mais le projet ne s'est pas réalisé et le terrain a été donné (et non vendu) à l'Eglise orthodoxe, qui souhaite y construire un centre de théologie. 

Plan du campus théologique à l'emplacement des anciennes habitations des Roms expulsés à Pata Rât
En mai dernier, des représentants de l'Eglise se sont réunis pour une messe avant la construction du centre. Nous étions présents avec les Roms du Pata Rât et les membres de gLOC pour manifester contre cette situation.

"Avant Noël, les maisons de 57 familles ont été démolies"

Sur 40 chambres, 22 dans lesquelles vivent entre 5 et 10 personnes, 8 entre 10 et 15 personnes, 10 plus de 15 personnes


"Nous avons été chassés d'ici pour un environnement toxique"



La tension était palpable. Les policiers nous ont interdit d'être réunis sur le terrain. Finalement, on a pu négocier et rester, à la condition d'être silencieux. Les hommes d'Eglise nous tournaient le dos et nous ignoraient complètement. Le comble était d'entendre le pope parler du besoin d'entraide, de solidarité, qui justifiait selon lui la création du centre théologique. Pour lequel ont été expulsés plus de 200 familles. Mais c'est vrai que ce sont des Roms, il semble que ça compte moins. Voici en lien l'article écrit par Diana sur les expulsions de la rue Coastei.

Indifférents à la manifestation silencieuse derrière eux
D'autres slogans présentés en silence derrière les popes : "Des maisons pour les Roms, pas pour Dieu". "J'ai vécu ici 20 ans en location". "On nous a volé notre chance de nous intégrer". "Sommes-nous des hommes ?!". "J'allais à l'école, maintenant à la décharge". "Honte honte". "Et à nous qui nous donne gratuitement un terrain pour nous construire des maisons ?" (le terrain a été donné à l'Eglise).

Beaucoup de ceux qui travaillaient ont perdu leurs emplois, faute de transport. Pour les enfants, aller à l'école est devenu difficile, car ils sont complètement excentrés. Les effets de la proximité de la décharge sur la santé des habitants sont en cours de test. Les Roms vivent contre leur volonté de façon ségrégués. Ils sont loin de tout. Certains jeunes que nous avons rencontré n'osent pas dire qu'ils vivent à Pata Rât. Comment peut-on parler d'intégration et de vivre-ensemble sans être complètement hypocrites, quand les Roms sont chassés, hors de la vue, aux marges de la ville ?



Heureusement, tout le monde n'est pas abattu. Une "école" officieuse a été mise en place par un couple de Hollandais (Fondation Pro Roma) travaillant avec les Roms du Pata Rât depuis des années :


GLOC a organisé en juin une grande conférence (dont voici le rapport en anglais), pour laquelle de nombreux représentants de diverses institutions locales, nationales et internationales se sont rendus sur place et ont rencontré les Roms du Pata Rât. Cela me semble être très important, car la plupart des gens à Cluj ne sont jamais passés par là et l'idée que les Roms souhaitent en fait vivre dans ces conditions est monnaie courante... pour ceux qui n'ont jamais parler avec eux (certains répondront aussi que les Roms exagèrent et nous manipulent... Mais je crois qu'il suffit de voir leurs conditions de vie pour comprendre qu'ils ne peuvent pas souhaiter pour leurs enfants comme pour eux-même de continuer comme ça).

A la conférence organisé par gLOC au Pata Rât
Enfin, et c'est sûrement ce qui compte le plus, les Roms s'organisent. Les habitants du "nouveau Pata Rât" ont formé un comité représentant l'ensemble des résidents, qui essaie de parler de cette situation et de reloger les familles plus près du centre et dans de meilleures conditions.


C'est dans ce contexte qu'a eu lieu le festival IRAF, International Romani Art Festival. Même si nous aurions aimé pouvoir plus parler de la situation du Pata Rât et plus engager le festival vis-à-vis des événements à Cluj, je suis contente déjà que des représentants de gLOC aient pu parler sur scène le dernier soir, devant un public très nombreux, avant le concert de Mitsoura (plus sur IRAF dans le prochain post).

Eniko et Adi parlent du Pata Rât sur la scène du festival IRAF