samedi 25 juin 2011

Les Roms du Pata Rât

Les Roms sont entre 500 000 et 2,5 millions en Roumanie. C'est le pays d'Europe où ils sont le plus nombreux. Même s'ils sont représentés politiquement, notamment par le parti des Roms, ils vivent aux marges de la société, figurativement et littéralement. Cluj en est malheureusement l'exemple.


La plupart des Roms à Cluj vivent dans le quartier dit "Pata Rât" (2000 personnes), près de l'aéroport, à environ sept kilomètres de la ville. C'est là que les déchets de la ville sont stockés, dans des conditions ne répondant ni aux normes de sécurité, ni d'écologie. On peut dire qu'il y a trois groupes vivant à Pata Rât. Certains sont là depuis longtemps, survivant dans des conditions très difficiles ("vieux Pata Rât"). D'autres habitent rue Cantonului, où ils ont été expulsés au début des années 2000. Les derniers arrivants ont été expulsés de la rue Coastei dans le centre de Cluj et installés là en décembre 2010 ("nouveau Pata Rât").

"Vieux Pata Rât"

"Nouveau Pata Rât"

Rue Cantonului

Il y a environ dix ans, d'autres Roms ont été expulsés de Cluj et installés "temporairement" dans des baraquements près de la voie ferrée, rue Cantonului. Ils y sont toujours (environ 400 personnes). Les préfabriqués (construits par des organisations caritatives en accord avec la mairie) étant trop petits, d'autres maisons ont été construites, rendant l'ensemble des habitations semi-légales. Le 31 mai, les habitants de Cantonului ont reçu une notification de poursuites judiciaires de la compagnie de chemin de fer, CFR, propriétaire du terrain, pour cause d'"occupation abusive du territoire", demandant l'expulsion des habitants et la destruction des habitations. Le procès a été repoussé au 1e juillet, grâce à gLOC, groupement d'organisations de Cluj se battant pour la résolution à court, moyen et long terme du problème des conditions précaires et ségréguées de logement des familles Roms expulsés en décembre 2010 à Pata Rât (voir plus bas), dont Alternatives Européennes fait partie, par l'intermédiaire de Daniel, Diana et moi. Concernant la rue Cantonului, le problème est que beaucoup de familles vivent dans des conditions économiques très précaires, certains sont très malades ou ont des enfants en bas âge, et personne ne sait où ils seront expulsés, car il ne semble pas que des logements sociaux aient été construits. Je vous invite à signer la pétition de gLOC, pour "empêcher les expulsions forcées [théoriquement interdites par le droit international] et trouver des solutions immédiates aux conditions de logement des résidents de la rue Cantonului et favoriser leur inclusion sociale". Pour signer la pétition, cliquer sur Semneaza petitia!.  

Rue Cantonului. Une femme nous montre le contrat de son logement.
La situation du "nouveau Pata Rât" est un peu différente. Là, les expulsions ont déjà eu lieu vers Pata Rât, en décembre dernier. Les familles vivaient dans le centre de Cluj, rue Coastei, travaillaient ou allaient à l'école en ville. Le 16 décembre (-7 degrés Celsius à Cluj), les autorités locales ont ordonné leur expulsions le lendemain, bien que ces personnes aient eu des contrats et habitent légalement leurs maisons. 250 personnes ont été relogées dans des "logements sociaux" construits par la municipalité de Cluj près de la décharge et du dépôt de déchets chimiques (produits pharmaceutiques), de l'autre côté d'une ligne de chemin de fer qu'il faut traverser pour rejoindre l'arrêt de bus. Toutes les familles n'ont pas été relogées. Quant à celles qui ont pu avoir un toit,(dix maisons modulables ont été construites), le logement ne correspondait pas à ce qui leur avait été annoncé. Chaque "maison" est constitué de quatre chambre de 18 m2, d'une entrée et d'une salle de bain commune de 6 m2, ce qui revient pour le nombre d'habitants à 2,98 m2 de chambre et 0,24 m2 de salle de bain. Aucune intimité, la queue permanente pour se laver ou aller aux toilettes. L'isolation des murs et du plafond n'a pas fait long feu : l'eau et le froid s'infiltre facilement à l'intérieur. La majorité des enfants sont tombés malades.

Chaque famille vit dans une chambre de 18 m2.
La pluie s'infiltre dans la maison par le plafond.

Une salle de bain partagée par 40 personnes

Pourquoi les expulsions du 17 décembre ? Il semble que le terrain aurait été prévu pour la construction de bâtiments pour la firme Nokia. Mais le projet ne s'est pas réalisé et le terrain a été donné (et non vendu) à l'Eglise orthodoxe, qui souhaite y construire un centre de théologie. 

Plan du campus théologique à l'emplacement des anciennes habitations des Roms expulsés à Pata Rât
En mai dernier, des représentants de l'Eglise se sont réunis pour une messe avant la construction du centre. Nous étions présents avec les Roms du Pata Rât et les membres de gLOC pour manifester contre cette situation.

"Avant Noël, les maisons de 57 familles ont été démolies"

Sur 40 chambres, 22 dans lesquelles vivent entre 5 et 10 personnes, 8 entre 10 et 15 personnes, 10 plus de 15 personnes


"Nous avons été chassés d'ici pour un environnement toxique"



La tension était palpable. Les policiers nous ont interdit d'être réunis sur le terrain. Finalement, on a pu négocier et rester, à la condition d'être silencieux. Les hommes d'Eglise nous tournaient le dos et nous ignoraient complètement. Le comble était d'entendre le pope parler du besoin d'entraide, de solidarité, qui justifiait selon lui la création du centre théologique. Pour lequel ont été expulsés plus de 200 familles. Mais c'est vrai que ce sont des Roms, il semble que ça compte moins. Voici en lien l'article écrit par Diana sur les expulsions de la rue Coastei.

Indifférents à la manifestation silencieuse derrière eux
D'autres slogans présentés en silence derrière les popes : "Des maisons pour les Roms, pas pour Dieu". "J'ai vécu ici 20 ans en location". "On nous a volé notre chance de nous intégrer". "Sommes-nous des hommes ?!". "J'allais à l'école, maintenant à la décharge". "Honte honte". "Et à nous qui nous donne gratuitement un terrain pour nous construire des maisons ?" (le terrain a été donné à l'Eglise).

Beaucoup de ceux qui travaillaient ont perdu leurs emplois, faute de transport. Pour les enfants, aller à l'école est devenu difficile, car ils sont complètement excentrés. Les effets de la proximité de la décharge sur la santé des habitants sont en cours de test. Les Roms vivent contre leur volonté de façon ségrégués. Ils sont loin de tout. Certains jeunes que nous avons rencontré n'osent pas dire qu'ils vivent à Pata Rât. Comment peut-on parler d'intégration et de vivre-ensemble sans être complètement hypocrites, quand les Roms sont chassés, hors de la vue, aux marges de la ville ?



Heureusement, tout le monde n'est pas abattu. Une "école" officieuse a été mise en place par un couple de Hollandais (Fondation Pro Roma) travaillant avec les Roms du Pata Rât depuis des années :


GLOC a organisé en juin une grande conférence (dont voici le rapport en anglais), pour laquelle de nombreux représentants de diverses institutions locales, nationales et internationales se sont rendus sur place et ont rencontré les Roms du Pata Rât. Cela me semble être très important, car la plupart des gens à Cluj ne sont jamais passés par là et l'idée que les Roms souhaitent en fait vivre dans ces conditions est monnaie courante... pour ceux qui n'ont jamais parler avec eux (certains répondront aussi que les Roms exagèrent et nous manipulent... Mais je crois qu'il suffit de voir leurs conditions de vie pour comprendre qu'ils ne peuvent pas souhaiter pour leurs enfants comme pour eux-même de continuer comme ça).

A la conférence organisé par gLOC au Pata Rât
Enfin, et c'est sûrement ce qui compte le plus, les Roms s'organisent. Les habitants du "nouveau Pata Rât" ont formé un comité représentant l'ensemble des résidents, qui essaie de parler de cette situation et de reloger les familles plus près du centre et dans de meilleures conditions.


C'est dans ce contexte qu'a eu lieu le festival IRAF, International Romani Art Festival. Même si nous aurions aimé pouvoir plus parler de la situation du Pata Rât et plus engager le festival vis-à-vis des événements à Cluj, je suis contente déjà que des représentants de gLOC aient pu parler sur scène le dernier soir, devant un public très nombreux, avant le concert de Mitsoura (plus sur IRAF dans le prochain post).

Eniko et Adi parlent du Pata Rât sur la scène du festival IRAF


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