mardi 7 juin 2011

Périple bulgare dans le Karandila

De retour du Maramureș, les quelques semaines avant la fin de mon stage à Alternatives Européennes ont été consacrées à la préparation d'un événement du projet "Power People Participation", pour lequel j'étais allé à Stara Zagora en mars. Ce projet est une série de consultations citoyennes sur différents thèmes. Des consultations ont lieu dans trois pays européens, où les mêmes questions sont discutées, puis des participants des trois villes se retrouvent pour un forum final. Les problèmes identifiés et les propositions d'action seront présentées à la fin de l'année aux autorités nationales et européennes. Après la liberté de la presse à Stara Zagora, le thème de discussion à Sliven est celui du droit des Roms. La seconde discussion aura lieu en France, à Douai, et la troisième en Espagne, à Séville, puis le forum final se tiendra à Bucarest à la fin de l'année.

Pour ce projet, Daniel et moi partons quelques jours en Bulgarie, à Sliven. Quelques jours forts en émotions, où on a bien cru ne jamais pouvoir arriver, puis revenir surtout.


Jusqu'à la frontière entre la Roumanie et la Bulgarie, RAS. Nous avons voyagé en train jusqu'à Bucarest toute la nuit, puis pris un autre train pour Rusé, première ville bulgare de l'autre côté du Danube. C'est là que les ennuis commencent. Le bus direct pour Sliven censé partir dans l'après-midi semble ne pas exister, malgré ce que prétendait le site internet que j'ai jusqu'ici toujours utilisé. Au départ, je n'y crois pas, mais tout le monde nous répète la même chose : il n'y a qu'un bus qui part le matin. Or, nous devons être à Sliven le lendemain matin, c'est même le but du voyage. Même en allant dans une autre ville, comme Veliko Turnovo, pas moyen de rejoindre Sliven. Lueur d'espoir en appelant Maya, le contact avec qui j'ai travaillé sur la consultation citoyenne de Sliven : il y a bien un bus. Seulement... de Sofia, où elle croyait que nous étions arrivés.  Mais de toute façon on ne peut pas être à Sofia à temps, et ça signifierait faire plusieurs centaines de kilomètres à l'Ouest pour les refaire ensuite vers l'Est... Après quelques allers-retours entre la gare routière et la gare ferroviaire, on comprend qu'on a seulement le choix entre prendre un bus pour Veliko Turnovo, pour se rapprocher mais sans être sûrs de pouvoir aller à Sliven, ou prendre un train à 21h30, changer à 23h43, prendre ensuite un bus à 1h45, un train à 2h19 et arriver à 3h23 (ce n'est pas une blague). 

On décide de partir pour Veliko Turnovo, où on arrive dans une gare secondaire déserte. Atanas (qui a aussi co-organisé l'événement à Sliven) vient de Sliven avec son oncle pour nous chercher. Cette fois, tout semble réglé. Mais sur la route pour Sliven, alors qu'on traverse la montagne du Balkan (Stara Planina), on est arrêté par un accident qui bloque toute circulation dans les deux sens. L'occasion de profiter du paysage ; il ne manque que la chanson "Hubava si moia goro" ("Tu es belle ma forêt", presque un hymne national en Bulgarie).

Finalement, on arrive à Sliven dans la soirée, et pas au beau milieu de la nuit. Le lendemain a lieu la consultation citoyenne. Les tables sont divisées selon différentes questions, liées aux problèmes rencontrés par les Roms en matière d'éducation, de logement, de justice, de santé et d'emploi.




Sliven est l'une des villes bulgares où vivent le plus grand nombre de Roms. J'avais eu l'occasion de voir un documentaire sur le quartier de "Nadejda" ("Espoir") où ils habitent majoritairement, dans des conditions très mauvaises : La Cité des Roms, de Frédéric Castaignède, qui décrit notamment les manœuvres électorales autour des habitants de Nadejda à l'approche des élections et le programme de déségrégation dans les écoles, grâce auquel des enfants roms étudient avec des enfants bulgares non roms. C'est l'un des quartiers ("mahala") les plus pauvres du pays.



Les conclusions de la rencontre seront bientôt disponibles en anglais.

Angel Tichaliev, chef des Karandila Junior
Nous avons invité les "Karandila Junior", que je retrouve après les avoir vu deux fois au Balkan Youth Festival et à Sofia. Des nouvelles recrues sont arrivées, mais globalement ce sont les mêmes jeunes, un peu plus grands. Ce projet d'orchestre est né de l'initiative d'Angel Tichaliev, qui jouait dans le très connu Karandila Gypsy Brass Orchestra (photo ci-dessous, à gauche).


Il a monté l'orchestre avec de jeunes musiciens de "Nadejda". Certains ont seulement une dizaine d'années, mais ils sont tous très bons. Après l'école, ils répètent chaque jour. Ce travail a porté ces fruits et le groupe commence à se faire un nom. Ils ont eu l'occasion de voyager plusieurs fois à l'étranger, mais ne sont pas encore venus en France : si vous entendez parler d'une possibilité de concert, je serais heureuse de vous mettre en contact !


Après la consultation citoyenne, très intéressante, Atanas et son oncle nous emmènent à Nadejda, pour voir ce dont on a parlé quelques heures. Le quartier est séparé du reste de la ville par la ligne de chemin de fer... et par un mur. J'avais déjà été à Fakulteta à Sofia et au Pata Rât à Cluj (sur lequel j'écrirai bientôt), mais je n'avais jamais vu un quartier comme Nadejda, où les Roms vivent ségrégués dans une grande pauvreté. On est accompagné de quelques participants de la consultation du matin, dont un pasteur de l'église protestante, qui sert aussi de complément à l'école car beaucoup sont analphabètes.

Le lendemain, Daniel et moi avons décidé de rester en Bulgarie et de ne pas enchaîner tout de suite sur 24 heures de voyage jusqu'à Cluj. Atanas et Maya nous emmènent dans la montagne du Karandila (de laquelle les deux orchestres, Karandila Gypsy Brass Orchestra et Karandila Jr tirent leurs noms). Il fait très chaud et beau... presque lourd. Après quelques kilomètres en voiture, on arrive au télésiège. Mais on est à peine monté dedans que le ciel se couvre. Pendant quelques minutes, on a le temps d'admirer le paysage. Puis il commence à pleuvoir, quelques gouttes, puis des cordes. Éclairs, tonnerre. Le télésiège s'arrête, reprend, s'arrête à nouveau : on apprend ensuite que l'orage a stoppé l'électricité et qu'on est remonté sur la batterie de sécurité. On est donc suspendu en plein air, au milieu d'un orage digne des moussons tropicales : écoutez le son que j'ai enregistré.

Daniel et moi, en haut du Karandila

En haut, on est une dizaine de personnes dans un petit refuge, tous plus trempés les uns que les autres. Finalement, on se réfugie dans le premier hôtel restaurant que l'on trouve et on passe l'après-midi à boire des soupes, cafés et chocolats pour se réchauffer. Comme le télésiège a arrêté de fonctionner, on est coincé dans la montagne, jusqu'à ce qu'un ami de Maya vienne nous chercher en voiture : on n'a rarement autant apprécié le chauffage !

La question de comment rejoindre Sliven et Rusé se pose aussi au retour. Comme il n'y a presque aucune liaison, Daniel et moi partons pour Stara Zagora, pour revoir des amis. L'occasion de passer une très bonne soirée.

Le lendemain, notre train est censé partir vers 8h, pour arriver à Rusé à 16h, puis à Bucarest à 19h, juste avant le train de nuit qui part à 19h30 pour arriver à Cluj le lendemain matin. Beaucoup d'horaires, qui nous en rendu fous toute une journée. D'abord, le train a 30 minutes de retard, puis 40. On prend nos billets et on boit tranquillement un café en attendant. Mais lorsqu'on arrive sur le quai, il est complètement vide. Je vais vérifier qu'on est bien sur la bonne plate-forme : on vient de rater le train. Le seul arrivant à temps à Rusé. Commencent dix heures de course contre la montre. Allers-retours entre la gare routière et la gare ferroviaire de Stara Zagora : même en allant dans une autre ville, aucun bus n'arrive à temps, parfois à un quart d'heure près. Il y a des travaux sur la voie et le train qu'on aurait du prendre fait un long détour. Même en taxi, on ne peut pas le rejoindre. Tout le personnel de la gare nous connaît désormais et on essaie ensemble de voir comment on peut arriver au plus vite à Rusé.

Finalement, on prend le train suivant, qui part vers 10h30, sûrs de dormir soit à Rusé, soit à Bucarest, et de rater le train pour Cluj. Moi qui disais à Daniel qu'une fois dans le train, au moins on ne stresserait plus à se demander ce qu'il faut faire... Au bout d'à peine une heure, on doit descendre à Dubovo, pour prendre un bus pendant une trentaine de minutes à travers la montagne (magnifiques paysages) jusqu'à Radoushti, où un autre train nous attend. On voyage ensuite jusqu'à Gorna Oriahovitsa, une petite ville près de Veliko Turnovo, carrefour des voies ferrées. Là, on a plus d'une demi-heure d'attente : l'occasion de rattraper notre retard en partant en bus ? Non, il n'y a pas de bus pour Rusé. Tout d'un coup Daniel s'aperçoit sur le panneau d'affichage qu'il y a un train de Sofia à Bucarest qui a 3h de retard et n'est pas encore passé à Gorna Oriahovitsa ! La chance aurait changé de camp ? Dilemne : partir pour Rusé avec le train de 14h45 ou attendre celui qui a du retard et qui va à Bucarest ? On prend le premier train pour Rusé, en espérant qu'il ne soit pas plus lent que celui pour Bucarest et qu'il ne se fasse pas dépasser. A chaque étape du voyage, on se demande bien ce qui pourrait encore arriver. Ah, un accident par exemple. Et oui : un camion a manqué un tournant et a pris le fossé... abîmant au passage les lignes électriques du chemin de fer et nous forçant à attendre quelques temps les réparations. Décidément, on n'y croit plus, sans doute que même arriver jusqu'à Bucarest sera difficile. Cluj, on n'y pense même plus.

17h25 : Rusé. Le train de 16h est parti depuis longtemps, mais on a encore un espoir grâce au train de Sofia qui avait du retard. Je cours à la caisse des billets internationaux, qui ferme à 17h30. La vendeuse a déjà fermé sa caisse, mais accepte de la rouvrir. Cependant, elle nous prévient que le train en provenance de Sofia "n'arrivera peut-être pas". Il a déjà 3h de retard et ce n'est pas sûr qu'il puisse rejoindre Rusé (à cause des problèmes dus à l'accident de camion ?). Il y a bien les chauffeurs de taxi qui nous tournent autour... L'un d'entre eux nous garantit pouvoir être à Bucarest en moins d'une heure et demi, et pour pas trop cher. Ce qui nous ferait arriver juste à temps pour le train pour Cluj... On tente le coup : c'est toujours mieux que de rester dormir à Rusé et d'être coincés un jour de plus dans les transports. L'heure et demi qui passe est digne d'un film d'action : contrôle de passeports à la frontière, embouteillage à Bucarest, est-ce qu'on va arriver à temps ? Et finalement : OUI !


Après des heures de suspense, on arrive enfin dans le train de 19h30 partant pour Cluj. Bien qu'on ait plus ri que paniqué de toutes ces péripéties dans les transports bulgares et que le reste du weekend ait été très réussi, on est heureux comme jamais (ou peut-être en ce qui me concerne autant qu'après mes mésaventures londoniennes) de retrouver la Roumanie, et Cluj.

Lever de soleil sur la Transylvanie

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire